Le harcèlement sexuel, ça n'existe plus ?
>> vendredi 4 mai 2012
Depuis vendredi, la loi sur le harcèlement sexuel est abrogée par le Conseil Constitutionnel (cliquez pour trouver la décision ici). Le délit pénal de harcèlement sexuel n'existe plus.
En
découvrant cette info, j'ai commencé par gueuler devant mon écran, en
essayant de mesurer les conséquences d'une telle décision. Je suis vite
arrivée à des interrogations sans réponses.
En discutant sur Facebook, sur le mur de Princesse Soso, j'ai rencontré Clémence, juriste et je lui ai alors posé quelques un tas de questions. Ses réponses et commentaires sont en bleu.
Clémence, tu es juriste. Mais un juriste de quelle race ? (yorkshire ? doberman ? chinchilla ?)
Clémence, tu es juriste. Mais un juriste de quelle race ? (yorkshire ? doberman ? chinchilla ?)
Je suis juriste spécialisée en droit sanitaire et social. En pratique, ça veut dire que je
traite des questions relatives au droit du travail, aux chômeurs, aux
étrangers, aux personnes âgées, aux personnes handicapées, etc. Dans ma
formation, j'ai aussi eu de la sociologie et de la science politique et,
comme tout juriste, du droit pénal
La loi sur le harcèlement sexuel est abrogée. Pourquoi ?
(là, c'est bibi qui te fait l'intro)
Le délit était considéré comme étant insuffisamment décrit. On ne pouvait caractériser le harcèlement sexuel. Ce qui est intéressant c'est que cette imprécision était considérée comme grave par les victimes et par les accusés car le flou entraine toutes les interprétations possibles.
Le délit était considéré comme étant insuffisamment décrit. On ne pouvait caractériser le harcèlement sexuel. Ce qui est intéressant c'est que cette imprécision était considérée comme grave par les victimes et par les accusés car le flou entraine toutes les interprétations possibles.
Les
accusés de harcèlement craignent les condamnations abusives et les
victimes considèrent que les juges interprètent de façon très
restrictive cette loi.
D'ailleurs,
en 2009, Danielle Bousquet, députée des Cotes d’Armor proposait que
les définitions du harcèlement sexuel soient harmonisées et réécrites,
conformément au droit européen (ici). Sans succès.
Bref, la loi "méconnait le principe de légalité des délits et des peines et doit être déclarée contraire
à la Constitution".
Comment ?
Tout
citoyen peut saisir le Conseil Constitutionnel et lui demander de se
prononcer sur la constitutionnalité d'une loi. (En réalité, ce n’est pas aussi simple : Il y
a un mécanisme de filtrage)
Ce qu'a fait Bernard Ducray, élu du Rhône, qui avait été jugé coupable de harcèlement sexuel.
Ce qu'a fait Bernard Ducray, élu du Rhône, qui avait été jugé coupable de harcèlement sexuel.
Sentant
le coup venir, une association de défense des femmes (l'AVFT) s'est
jointe au dossier, afin d'éviter l'abrogation immédiate de la loi, et de
la différer le temps que la rédaction d'une nouvelle loi soit faite.
Raté.
Que se
passe-t-il dans les faits pour les procédures en cours ? Et les personnes qui ont été
jugées coupables auparavant ? Annule-t-on la décision ?
Cela dépend
ce que l’on entend par coupable. Comme les juristes sont des êtres chiants, ils
sont très attachés aux mots. La définition d’un terme pour l’opinion publique
ne sera donc pas la même pour les professionnels du droit.
Pour les
juristes, est coupable la personne qui est définitivement jugée (en simplifiant
au maximum). On a d’ailleurs une formule spéciale : l’autorité de la chose
jugée. Dès lors que c’est le cas, la décision ne sera pas annulée. Cela veut
dire, pour les plus angoissés, que les personnes qui sont actuellement en
prison pour des faits de harcèlement sexuel ne vont pas être libérées.
En revanche,
pour les personnes dont on parle comme étant coupables mais qui ne le sont pas
juridiquement (à savoir, ce que tu rappelles, quand une procédure est en
cours : On peut très bien avoir été déclaré coupable par un tribunal et
faire appel. Dans ce cas, la culpabilité n’est pas définitive, car soumise à
une autre décision judiciaire), c’est plus compliqué. Comme le juge
constitutionnel a énoncé que « l'abrogation de l'article 222-33 du code
pénal prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu'elle
est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette
date », cela signifie qu’il remet en cause les procédures actuellement
devant les tribunaux.
Et
là… C’est extrêmement problématique. Les procédures engagées n’ont plus de base
juridique, on ne peut plus les conduire. Elles reposent sur quelque chose qui
n’existe plus, sauf dans le cas que nous allons voir et spécifique au droit du
travail.
Mais ça veut
dire que je peux mettre des mains aux fesses au travail en toute impunité ?
Et non.
Certains seront déçus, mais le harcèlement sexuel existe toujours en réalité.
On a souvent tendance à croire qu’une disposition ne se trouve qu’à un seul
endroit, un seul Code, dans une seule loi. Ce n’est pas le cas. Les mauvaises
langues diront que les répétitions sont dues à l’absence de mémoire du
législateur, les plus bienveillants parleront de sécurité juridique.
Quoiqu’il en soit, dans le
cadre des relations de travail, on retrouve la règle de l’interdiction du
harcèlement sexuel. Ainsi, l’article L 1153-1 du Code du travail dispose que
« Les
agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs
de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits. »
On peut d’ailleurs noter que la formulation est très proche de celle que le
Conseil constitutionnel vient de censurer (comprendre par ici que le
législateur va devoir remuer ses petites fesses pour reformuler également les
dispositions présentes dans le Code du travail). La seule différence vient du
fait que l’on interdit les faits de harcèlement pour soi-même ou au profit
d’autrui.
Donc… Si on veut être pervers, on peut très bien
imaginer qu’au sein d’une entreprise, une personne A en harcèle une autre B, au
profit d’une personne C qui elle, pourra être extérieure à l’entreprise. Dans
ce cas, il serait intéressant de voir si on ne peut pas contourner la décision
du Conseil constitutionnel. Mais à vrai dire, ce n’est qu’une idée presque
« comme ça ». Il serait intéressant de creuser, même si je doute de
sa faisabilité.
Nan mais
c'est quoi un délit pénal en fait ??
Plutôt que
de parler de délit pénal, on va décomposer : Tout d’abord, il convient de
relever qu’en matière de droit pénal, il existe trois catégories d’infractions :
Contraventions, délits et crimes (classées par ordre de gravité).
En fait, si
on veut simplifier à l’extrême, quand on se demande si quelque chose relève du
droit pénal, il faut se demander si une peine est encourue. Cette peine passe
par une amende et/ou l’emprisonnement. En droit civil, on ne parlera pas
d’amende mais de dommages et intérêts.
Une fois que
l’on est dedans le milieu du droit, c’est très simple (si si, je le jure). Mais
on peut toujours un peu compliquer les choses, ce qui me permet de rappeler que
toutes les infractions pénales (ou délit pénal si l’on souhaite recentrer
encore plus) ne sont pas dans le Code Pénal. Code du travail, Code de la route,
Harcèlement
sexuel et harcèlement moral, y a une différence dans les codes ?
Non, la
différence ne se situe pas dans les codes. Le Code Pénal, pour parler du
harcèlement moral, le définit comme « Le fait de harceler autrui par des
agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des
conditions de travail (…) ». Ce qui est très intéressant est dans le
passage « conditions de travail ». Il ne s’agit pas d’une infraction
générale donc, mais là encore, subordonnée au cadre de l’entreprise.
Il faut
revenir à l’origine : En 2002, on crée l’infraction de harcèlement moral
parce que l’on modifie la rédaction de ce qui est constitutif du délit de
harcèlement sexuel. Et c’est bien là que se trouve la différence entre les deux
formes visées de harcèlement.
Si l’on
compare, le harcèlement sexuel est « le fait de harceler » alors que,
pour le harcèlement moral, on désigne « le fait de harceler par des
agissements répétés ». On parle, dans ce dernier cas, d’infraction
d’habitude (car la répétition est nécessaire). Jusqu’à présent, la Chambre
criminelle de la Cour de cassation ne s’était pas prononcée sur la portée de
cette différence de rédaction (chose qu’elle ne fera jamais en raison de
l’abrogation).
En
conclusion, c'est la cata ?
Oui… et non.
Non, parce
que cela va conduire le législateur à prendre ses responsabilités, c’est-à-dire
écrire un texte plus précis, qui devra répondre aux attentes et critiques
prononcées depuis maintenant plus de dix ans (voire 20 ans si on prend en
compte la première disposition législative parlant de harcèlement sexuel). La
rédaction du Code Pénal était tellement floue que de nombreuses questions
subsistaient (notamment celles relatives à la drague, qui pouvait être
qualifiée d'harcèlement sexuel).
Oui, parce
que le Conseil constitutionnel aurait pu faire autrement. Il le sous-entend
d’ailleurs dans sa décision, puisqu’il rappelle qu’il a le « pouvoir tant de
fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets ».
Donc, s’il avait voulu, il aurait pu très bien dire que l’article contesté ne
serait supprimé qu’à compter du 6 juin (par exemple, je prends une date
totalement au hasard). Je ne sais ce qui a motivé les juges constitutionnels,
mais l’on va entendre de fortes critiques à leur encontre.
De
plus, il semblerait qu’il y ait un conflit d’intérêt : Le demandeur
(c’est-à-dire la personne à l’origine de la QPC, Gérard Ducray) connaissait un
des membres du Conseil constitutionnel qui a participé à l’élaboration de la
décision (Jacques Barrot). Si tel est le cas, cela ne remettra pas en cause la
décision dans son aspect juridique, mais dans son aspect « moral »,
elle sera encore critiquée.
Enfin,
dernier point, on peut relever que le Conseil constitutionnel s’était déjà
prononcé sur le harcèlement moral, car la formule « agissements
répétés » témoigne elle aussi d’une imprécision. Pourtant, dans ce cas, il
n’y a pas vu d’entame au principe de la légalité des délits et des peines.
Beaucoup de questions subsistent donc ce qui a animé le Conseil constitutionnel.
Si parfois, son action est remarquable (notamment pour la garde à vue), là, il
a vraiment merdé.
Un immense merci à Clémence que j'ai été chercher sur Facebook et qui a super gentiment et hyper rapidement répondu à mes questions, alors qu'elle ne me connait ni d'Eve ni d'Adam.
Quelques articles sur le sujet :
5 contributions extrêmement pertinentes:
Merci grand merci à vous deux. Je suis rassurée en quelque sorte. Reste que «mon» harceleur agit aussi dans le cadre privé. Il faudra que ses victimes prennent patience ou lui collent un grand pain dans la tronche. Mais au boulot il reste sous le cadre d'une loi encore applicable.
C'est limpide!!!! Merci de ces précisions, je saurais contre quoi m'insurger maintenant!!! :-)
De rien, de rien !
Je voulais vraiment en savoir plus pour savoir, effectivement "contre quoi m'insurger".
Merci mille fois d'avoir éclairé ma lanterne !
Merci pour toutes ces réponses ! :)
Et je viens d'entendre à la radio qu'une femme victime de harcèlement sexuel doit porter plainte au commissariat et la police peu classer ça comme tentative d'agression sexuelle. Mais que le problème est pour les dossiers déjà sur le bureau d'un juge parce qu'une plainte ne peut pas être reclasser.
Enregistrer un commentaire